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Couple: comment faire face à la maladie d’un enfant et protéger son couple de cette expérience épouvantable?

La maladie d’un enfant est une épreuve intense pour un couple et pour une famille. Aller chercher de l’aide, écouter et respecter les émotions de chacun, à son rythme et sans jugement et préserver des espaces d’intimité et de partage protégés des peurs et des inquiétudes permettent de se protéger du risque de tensions ou d’explosion. Au milieu des tristesses, des incertitudes, il y a aussi des moments de joie.

Personne ne peut imaginer, prévoir, que l’un de ses enfants tombe malade, d’une maladie grave. La maladie, c’est pour les adultes, vieux, si possibles, pas pour les enfants. Malheureusement, certaines familles connaissent la leucémie chez un enfant de dix-huit mois, le cancer, l’anorexie, les maladies psychiatriques…Certains peuvent penser que ce sont des situations rares. Deux millions d’enfants ont été hospitalisés en France en 2018*. Pour un couple, l’expérience pulvérise tout : les rythmes, les croyances, la place des autres enfants, des grands-parents, le travail et parfois même l’équilibre économique. Comment faire face ? Comment protéger sa relation ? Quels sont les écueils et peut-on les éviter ?

Vous avez besoin de soutien. Allez en chercher!

 

L’annonce de la maladie puis l’expérience des traitements sont un choc. La douleur est violente. Attention à vous. Vous êtes face à l’angoisse de mort, non pas pour vous, mais pour l’être que vous aimez le plus au monde. Avec peut-être en plus, par-dessus cette peur, un sentiment immense de culpabilité.

 

Faites-vous aider. Ne restez pas isolés, silencieux. Les médecins, les infirmières peuvent bien sûr être d’une aide extraordinaire. Mais aussi les assistantes sociales de l’Hôpital, pour vous aider matériellement si c’est nécessaire. Allez chercher des psychologues, vos parents, vos amis, ne vous gênez pas. Sollicitez toute l’aide possible. Vous ne serez jamais assez aidés.

 

N'oubliez pas que votre conjoint n’est pas votre psy. En plus des psy, il existe des groupes de paroles. Allez déversez tout ce que vous avez à déverser, chacun de votre côté, sans filtres. C’est une façon de vous protéger l’un et l’autre de toutes vos peurs et de vos tristesses.

Et si vous n’arrivez pas à parler, essayez de trouver une activité qui vous permette de réguler vos émotions : chantez, écrivez (ne serait-ce qu’un journal, très précieux pour plus tard), allez courir, faire de la boxe, jouer au foot…ce que vous voulez pour vous soutenir.

 

Écoutez vos émotions. Acceptez que vous aurez chacun votre part

 

Car la maladie d’un enfant provoque une éruption d’émotions.

 

La tristesse, voir le désespoir, la colère, la peur, l’impuissance, la frustration. Les doses sont gigantesques. Vous avez l’impression d’être submergés. Et pourtant, il vous faut agir, vous occuper de votre enfant malade, vous occuper parfois de vos autres enfants, assurer un minimum de vie matérielle.

Écouter vos émotions cela signifie accepter de les traverser. Sans jugement. Accepter votre vulnérabilité, votre non-puissance. Accepter que l’autre ne soit plus un héros exceptionnel, une femme parfaite, mais un être qui souffre, comme vous vous souffrez.

Pour un couple, il est essentiel d’accueillir le fait que ces émotions risquent de ne pas être synchronisées. Chacun fait ce qu’il peut.

 

Le déni, par exemple, peut être très mal vécu par celui qui souffre comme un chien et qui voit l’autre faire comme si de rien n’était. Il s’agit d’une erreur d’interprétation fréquente : le déni est une réaction de régulation du cerveau. C’est une sorte d’arrêt sur image, de sidération qui permet d’intégrer la nouvelle ou l’évènement. Sans cette étape de déni, la personne s’effondrerait.

Si l’un de vous deux se réfugie dans le travail, par exemple, au lieu d’être à vos côtés, nous dirions que sa réaction est normale. Même si elle est problématique car  vous avez besoin de soutien (voir point 1).

Il est donc urgent d’exprimer votre besoin de soutien et de faire sortir l’autre doucement, respectueusement, de son déni, en respectant son rythme et ses capacités.

 

Échanger sur votre ressenti, vous écouter quand l’un est dans la tristesse tandis que l’autre est révolté et manifeste une colère noire, est indispensable. Car c’est ici même que vous risqueriez de parcourir des chemins qui à force d’être parallèles ne se rencontreraient plus.

 

 

Attention si le couple disparait et que vous n’êtes plus que des parents.

Vous allez devoir apprendre à naviguer entre une zone de combat commun et des espaces neutres, protégés de tout et qui vous permettent de vous connecter hors du champ de mines de la maladie. C’est la partie la plus difficile. Mais c’est aussi là que se joue la force de votre relation et de votre couple. Car le principal écueil, c’est de mener ce combat sur deux voies différentes : avec un objectif commun, mais séparément.

Au-delà de l’épuisement, de la fatigue, essayez par exemple de vous reposer ensemble. C’est contre-intuitif : vous avez probablement imaginé qu’il fallait vous reposer alternativement pour que l’un soit toujours en veille. Vous feriez équipe, oui. Vous seriez solidaires et donc, en soutien l’un de l’autre, oui. Mais encore une fois, attention aux chemins parallèles qui ne se rejoignent jamais. Allez chercher des amis ou des grands-parents pour prendre le relai. Et dormez ensemble, récupérez ensemble. Protégez cette toute petite zone d’intimité.

Encore mieux, si vous y arrivez, essayez de garder des espaces de connexion pour parler, échanger, vous écouter, vous entendre. Le summum étant d’arriver à passer du temps ensemble sans évoquer, ne serait-ce que pendant une demi-heure, la maladie si envahissante. Parlez de vous, de vos souvenirs communs, de tout ce qui vous relie.

La maladie d’un enfant est une épreuve intense pour un couple et pour une famille. Aller chercher de l’aide, écouter et respecter les émotions de chacun, à son rythme et sans jugement et préserver des espaces d’intimité et de partage à l’abri des peurs et des inquiétudes permettent de se protéger du risque de tensions ou d’explosion. Au milieu des tristesses, des incertitudes, il y a aussi des moments de joie.

Un jour, cet enfant ou cet adolescent  deviendra un adulte provocateur qui cherchera son indépendance en secouant ses parents. Ce qui les obligera à revisiter ces trois « recettes ». C’est tout ce que je vous souhaite….

(*) source  https://www.ars.sante.fr/les-chiffres-cles-de-lhospitalisation

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Thérapie de couple Isabelle Jordan Thérapie de couple Isabelle Jordan

Mon amoureux(se) est-il « la bonne personne » ? L’ai-je bien choisi ?

Aujourd’hui, c’est La question centrale : celle qui présuppose qu’il existe quelque part La bonne personne, celle qui remplira toutes les promesses et avec laquelle le bonheur conjugal est garanti. Le but d’une existence serait de la trouver. Et nos échecs signifieraient tout simplement que « ce n’était pas la bonne personne ».

C’est une question moderne, que l’on ne se posait pas vraiment avant les années 60 et l’apparition d’une injonction au bonheur qui inclut la vie de couple. Aujourd’hui, c’est La question centrale : celle qui présuppose qu’il existe quelque part La bonne personne, celle qui remplira toutes les promesses et avec laquelle le bonheur conjugal est garanti. Le but d’une existence serait de la trouver. Et nos échecs signifieraient tout simplement que « ce n’était pas la bonne personne ».

 

Personnellement, j’avoue que je ne suis pas tout à fait certaine que cette personne existe. L’humanité compte plus de sept milliards d’habitants. Il est donc hautement probable qu’il y en a plus d’un ou plus d’une avec lequel nous pourrions vivre en bonne harmonie. Et affirmer qu’il existe quelque part une personne qui serait notre « moitié perdue », selon le concept platonicien, suppose que nous serions dans un état, une humeur et des besoins permanents, qui ne changent jamais, et que notre « bon » conjoint connaitrait également cette forme de stabilité. Rien ne me parait plus éloigné de la réalité. Il me semble que nous sommes d’avantage dans une évolution permanente et que le principe même de la vie de couple réside dans une adaptabilité constante.

 

Il reste que notre aspiration au « bonheur » est universelle. Je poserais donc la question de façon différente : peut-être qu’il serait bon de faire son « bilan de couple » sur la base de critères mesurables et de s’arrêter sur notre épanouissement réel plutôt que sur des attentes idéales (et parfois inaccessibles). 

La philosophe Martha Nussbaum nous propose dix points pour évaluer notre bonheur. Et vous, pouvez-vous évaluer votre bonheur dans votre couple?

La philosophe Martha Nussbaum, enseignante à l’Université de Chicago, a travaillé avec le Prix Nobel d’économie Amartya Sen sur la notion de bonheur. Leur idée était de ne pas s’arrêter aux critères économiques de richesse d’un état (le fameux Produit Intérieur Brut) pour évaluer le bonheur d’un pays. 

 

Martha Nussbaum a décrit dix « Capabilities » centrales qui garantissent à un citoyen que sa vie est digne d’être vécue. Il me semble que de regarder ces dix « possibilités », ces dix indices de la dignité humaine, au travers de l’expérience du couple, donne une idée assez précise de notre « bonheur » dans cette vie conjugale. Car si des Prix Nobel utilisent ces dix « Possibilités » pour évaluer le bonheur de l’humanité, il me semble intéressant de les regarder à l’échelle de notre vie quotidienne, de vie « en couple ».

 

Voici donc ces dix « capabilities » et ce que l’on peut en dire lorsqu’il s’agit d’évaluer notre vie….

 

1.    La vie : « être dans la possibilité de vivre une vie humaine d’une durée normale, ne pas mourir prématurément, et vivre une vie qui vaut d’être vécue ». On est ici dans un besoin « basique ». Le couple ne peut être un lieu de risque ou de violence qui raccourcisse la vie de l’un de ses membres. No comment. Sans évoquer ces extrêmes, le couple devrait nous rendre « vivants ». Ce que nous ressentons bien au début d’une nouvelle histoire, ou lorsque nous nous retrouvons après quelques jours d’absence. Une vraie sensation de joie, qui est proche de cette jubilation d’être vivant. Cette sensation devrait durer. Se sentir « vivant » est un excellent indice de notre qualité de vie.

 

2.    La santé physique : « être dans la possibilité d’avoir une bonne santé, y compris sa santé reproductive. Être bien nourri(e), être protégé, abrité ». Là aussi, Martha Nussbaum évoque des besoins « basiques », fondamentaux. Qu’il est bon de rappeler. En droit français, les époux se doivent « secours ». Martha Nussbaum rappelle ce devoir moral de se soutenir physiquement. Est-ce que votre conjoint vous permet de vous occuper de vous ? Est-ce que vous avez du temps et de l’espace pour vous occuper de vous ? 

 

3.    L’intégrité physique : « être capable de bouger librement d’un lieu à un autre. D’être protégé contre des attaques violentes, incluant des attaques sexuelles ou des violences domestiques. Avoir la possibilité de satisfaire ses besoins sexuels et de faire des choix en matière de reproduction ». Au-delà de l’intégrité du corps, qui semble être non négociable, cela signifie que le couple est un espace de respect des limites de chacun. Qui sont différentes d’un couple à l’autre. Mais qui doivent être explicites, sous peine d’être (parfois involontairement) dépassées. L’autre ne peut pas deviner quelles sont nos limites. C’est aussi le droit, la possibilité d’être touché, d’être enlacé, d’être accueilli physiquement par l’autre.

 

4.  Les Sens, l’imagination et les pensées : « être capable d’utiliser tous ses sens, d’imaginer, de penser et de raisonner- et de faire tout cela de façon vraiment humaine, en étant informé et éduqué, entre autre et sans limite en ayant accès à la littérature, aux bases des mathématiques et des sciences. Avoir la possibilité d’utiliser son imagination et ses pensées pour produire des travaux ou des évènements de son choix, qu’ils soient religieux, littéraires, musicaux ou autres. Dans une véritable liberté d’expression, qu’elle soit politique, religieuse ou artistique. Avoir la possibilité de vivre des expériences agréables et d’éviter les douleurs inutiles. » Quand on regarde l’histoire de l’art et le nombre de femmes qui ont renoncé à toute création pour laisser leur conjoint prendre la lumière, on comprend la pertinence de cette quatrième « possibilité ». Cette « capacité » rejoint la question des jeux de pouvoir dans le couple. Des effacements. Des renoncements. Des exigences non négociables. Des désirs de contrôle. Et par conséquence, du droit à la liberté.

 

5.    Les Émotions : « Avoir la possibilité de s’attacher à des gens, à des objets, en dehors de soi. La possibilité d’aimer ceux qui nous aiment et qui s’occupent de nous. A contrario, ne pas en être empêché par la peur ou l’anxiété ». Quelle liberté, quel espace y a-t’-il hors du couple (on y revient)? Quelle confiance s’accorde t’-on ? Quel risque est-on prêt à prendre ? Quelle distance s’autorise-t’-on ? Ce chapitre est celui du droit à une forme de sécurité. La sécurité de pouvoir être soi.

 

6.    Un raisonnement pratique : « Avoir la possibilité de faire la part entre le bien et ce qui ne l’est pas, d’engager une réflexion critique sur la façon d’organiser sa vie (ce qui est garanti par ce que l’on appelle la liberté de conscience et de pratiquer sa religion) ». Quelle est notre tolérance ? L’autre a-t’-il la liberté de penser différemment ? D’avoir d’autres croyances ? Parfois d’autres valeurs, d’autres pratiques, d’autres rituels ? 

 

7.    L’Affiliation : « Avoir la possibilité de vivre avec d’autres, de les considérer, d’être en interaction sociale avec eux, d’être capable de se mettre à leur place et de les comprendre (ce qui signifie que les institutions protègent et garantissent ces affiliations, garantissent la liberté de se réunir et de tenir des discours « politiques »). 

Avoir suffisamment de bases sociales pour avoir confiance en soi et ne jamais être humilié. Être traité avec respect, en toute égalité avec les autres, sans discriminations basées sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique, la caste, la religion ou l’origine. » Cette possibilité « d’affiliation » rejoint les questions qui précèdent. Sur un champ moins spirituel, plus social. Des soirées foot entre copains jusqu’aux possibilités de choisir son travail. 

 

8.    Les Autres espèces : « Avoir la possibilité de vivre et de respecter des animaux, des plantes et la nature en général ». Pas si anecdotique dans les couples ! Certains couples fusionnels ont partagé leur passion pour un jardin, ou pour des animaux dit « de compagnie ».

 

9.    Le Jeu : « Avoir la possibilité de jouer, de s’amuser et de se distraire avec des activités choisies ». Besoin essentiel, très souvent rempli dans les premiers mois, juste après nos rencontres. Zone très fragile car souvent, elle disparaît mécaniquement des priorités quotidiennes. Les couples évoquent « des problèmes de communication », alors qu’ils ont tout simplement perdu cet espace, ce temps, pour s’amuser ensemble. 

 

10. Le contrôle de son environnement : « Politique, avec la possibilité de choisir qui gouverne, la possibilité de se réunir et de s’exprimer librement. Matériel, avec la possibilité de posséder quelque chose (que ce soit une terre ou des objets usuels), d’avoir un accès à la propriété de façon égale par rapport à d’autres, de pouvoir travailler et de choisir d’y rester ou d’en partir, en étant respecté et reconnu par les autres ». Dans le couple, ce serait le droit de garder un espace à soi. Un espace de pensée, d’opinions, et un espace matériel. Le contraire d’une fusion permanente et illimitée, qui est parfois exigée par un membre du couple, ou par les deux. Par idéal ou par volonté de contrôler l’autre. 

 

Martha Nussbaum est une philosophe « politique ». Elle se situe à l’intersection de la psychologie, de la sociologie et du champ juridique, pour redéfinir ce que pourrait être une organisation démocratique. Platon et les Lumières méritent effectivement d’être revisités.

 Pour finir, elle précise que « Le plus important que si vous considérez les items de cette liste comme des opportunités de choix (ou des opportunités choisies) plus que des activités en tant que telles, alors vous permettez une grande liberté et une grande fluidité. Si quelqu’un n’est pas intéressé par une activité, si cela ne reflète pas le sens qu’il désire donner à sa vie, alors, ce n’est pas grave, ils ne l’exercera pas. L’approche des « capabilities » est une sorte de « welfarisme » avec de multiples entrées mais plus que tout, ce sont des opportunités de choix et de liberté plus que des choses que l’on doit faire.» (*)

 

Au-delà de cette démarche politique, les textes de Martha Nussbaum dessinent un nouveau contexte culturel et idéologique. Et le couple est une entité dépendante du contexte culturel et religieux. Nous construisons notre couple à l’intérieur d’une culture et souvent, d’un humus religieux. Martha Nussbaum prépare sans doute un nouveau futur, comme les philosophes des Lumières ont préparé les Révolutions. A un moment où nous ne savons plus très bien ce que nous voulons, sa démarche est très inspirante pour évaluer notre « système de couple », notre vie affective et familiale. 

 

 

 

(*) Texte original de Martha Nusbaum en anglais : 

"More importantly is that if you make the items on the list, opportunities for choice rather than the activities themselves, then you allow a lot of freedom and flexibility. If somebody doesn't like one activity, if that doesn't express what makes their life meaningful, well, they just won't use that one. 

The capability approach is a kind of welfarism with multiple parts but more of them are freedoms or opportunities for choice, rather than being things you are required to do. So the way we would assess the society is to ask what space is for choice, what freedoms in some crucial areas it has opened up for its citizens."

 

 

 

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