Médiation (Couples ou Familles) : comment notre récit nous enferme et nous empêche de sortir d’un conflit ?
Si l’on reste fixé.e sur son récit, la médiation n’est pas possible. Si l’on ne peut pas entendre que l’histoire ne s’est pas tout à fait passée comme cela, on reste « coincé.e » dans cette vision et cette représentation, sans jamais rejoindre celle de l’autre. Et le conflit perdure. Tout est alors bloqué par le récit.
Le récit, c’est l’histoire que nous nous racontons et que nous racontons à nos proches. Mais ce récit est-il bien le reflet de ce qui nous arrive ? Et si nous nous trompions ? Et si la réalité était (très) différente de ce récit ? Ce récit fait alors écran entre nous et cette « réalité ». Il nous enferme et nous empêche de sortir des rôles que ce récit a dessinés. Empêchant toute sortie du conflit. Comment faire avec ce récit ? Mon récit, le récit de l’autre, et tout ce que nous avons envie de nous raconter pour justifier que nous avons bien « raison ». Comment le processus de médiation peut (ou non) nous permettre de dépasser ces récits pour sortir d’un conflit?
Le récit enferme mais il soutient notre identité
Le récit fige notre histoire. Il répète indéfiniment le même point de vue. Le récit, comme notre mémoire, sont essentiels car c’est avec eux que nous définissons notre identité. Souvenez-vous des films dans lesquels les héros sont amnésiques. Ils perdent leur identité. Ils ne savent plus qui ils sont.
Modifier notre récit peut nous ouvrir à la compréhension de l’autre
Au contraire, regarder ce qui s’est passé, enquêter, interroger, écouter, être traversé par la parole de l’autre, déplace le regard.
Comment cela a commencé, quels ont été les moments importants, les glissements, les ruptures, les drames, les accidents, les joies, les victoires, les célébrations ? Avons-nous retenu les mêmes moments dans le déroulé de notre histoire ? Car l’histoire est toujours différente selon le personnage qui la raconte, alors même que l’évènement raconté a été vécu par les mêmes personnes. Le Quator d’Alexandrie, le roman de Lawrence Durell, raconte la même histoire, du point de vue de quatre personnages différents. Et ce n’est clairement pas le même récit.
La médiation cherche à déplacer les points de vue
La médiation permet précisément les déplacements de point de vue. L’idée est de se mettre « un peu », ou plus intensivement, « à la place de l’autre ». Ce qui change nécessairement le récit. L’histoire bouge et nous pouvons reprendre notre place, nos responsabilités.
Si l’on reste fixé.e sur son récit, la médiation n’est pas possible. Si l’on ne peut pas entendre que l’histoire ne s’est pas tout à fait passée comme cela, on reste « coincé.e » dans cette vision et cette représentation, sans jamais rejoindre celle de l’autre. Et le conflit perdure. Tout est alors bloqué par le récit.
Le récit est donc à la fois ce qui nous structure et nous permet de « tenir » debout. Et ce qui peut alimenter la violence de nos conflits. Violence contre l’autre. Mais aussi violence contre nous-mêmes car notre déni nous enferme et nous empêche la délivrance, la sortie du conflit. La médiation ne fait pas de miracle : le processus s’appuie sur chacun des acteurs du conflit, en essayant de créer du mouvement. Réactualiser nos récits est l’une des étapes les plus difficiles et les plus libératrices d’un processus de médiation.
Famille recomposée et Succession : comment la Médiation Familiale peut-elle vous aider ?
…Une médiation familiale permet une discussion « amiable », même douloureuse ou violente, et ce processus prendra moins de temps que la justice (qui peut prendre jusqu’à dix ans pour régler une succession conflictuelle).
Qui dit famille recomposée dit demi-frère ou demi-sœur. Et le « demi » signifie que l’on n’a pas la même mère ou le même père. Et alors ? Alors, lorsqu’un parent décède, on règle les comptes autour de l’héritage. Et si les épisodes familiaux précédents n’ont pas été « réglés », les conflits éclatent. Voici quelques pistes pour éclairer comment la Médiation Familiale peut aider à sortir d’un conflit familial lors d’une succession dans une famille « recomposée ».
Première étape de cette médiation familiale: “refaire l’histoire”
La première étape consiste à « refaire l’histoire ». Quels sont les « arbres généalogiques » des uns et des autres ? Quelle est l’histoire des demi-frères ou demi-sœurs ? Ont-ils gardé des contacts avec leurs pères ou leurs mères ? Comment s’est passé leur arrivée dans la nouvelle famille ? Quelle est a été la réaction de l’amoureux ou de l’amoureuse de leur parent? Comment s’est passé l’arrivée des enfants de ce nouveau couple?
La grande peur des enfants d’un couple passé est que leur nouveau frère ou leur nouvelle sœur « annule et remplace » la famille précédente. Ils ont une peur immense que leur père ou leur mère les aime moins que ce nouvel enfant. Ils conjuguent la peur de l’abandon, la colère contre cette nouveauté ou contre eux-mêmes de ne pas accepter ce nouveau bébé, et la peur d’être rejeté, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que la peur de l’abandon, et qui va activer des sentiments d’injustice, justifiés ou pas. Car le nouveau couple constitué par leur parent et le beau-parent aura nécessairement une façon différente d’accueillir un nouvel enfant.
Cinquante ans plus tard, quand ces enfants se retrouvent chez leur notaire pour découvrir ce que leur a réservé la succession de leur parent décédé, ce sont toutes ces peurs qui ressurgissent. Avec un mélange de sentiments très enfantins pour tout ce qui n’a pas été « réglé » et de violence très adulte pour revendiquer des compensations aux injustices perçues et intériorisées depuis tant d’années.
Un exemple de succession compliquée dans une famille “recomposée”
La Médiation Familiale aborde ces conflits en éclairant, en nommant ce qui a été caché, ce qui n’a pas été dit. Voici l’histoire de deux dames de cinquante ans dont la mère de l’une, le père de l’autre, s’étaient mariés quand elles avaient l’une et l’autre neuf ans. Elles étaient presque « jumelles » en âge. La fille du Monsieur a été complètement rejetée par la nouvelle femme de son père. Au point qu’elle ne pouvait lui rendre visite et séjourner avec lui dans sa nouvelle famille. La fille de la dame a été adoptée (adoption simple) par le Monsieur. Vous imaginez le résultat ? Le sentiment d’injustice ressenti par la première ? Peut-être aussi de culpabilité car elle a pu croire que c’était « de sa faute ». Quasiment irréductible. On comprend que les discussions chez le notaire autour de leur héritage aient été impossibles.
La Médiation Familiale peut tenter d’éclairer pour l’une comme pour l’autre ce qui s’est passé.
Peut-être que le Monsieur avait une peur élevée d’échouer dans son nouveau couple et qu’il voulait tout mettre en œuvre pour faire plaisir à sa nouvelle femme ? Peut-être qu’il a lui-même une histoire familiale qui l’a poussé à prendre en charge cette petite fille pour « réparer » une histoire dans laquelle un père (son père, son grand-père ?) n’avait pas « assumé » sa paternité vis-à-vis d’un enfant? Sans penser que cela pourrait enlever quelque chose à sa première fille.
Peut-être que la femme de ce monsieur avait peur qu’il reste en lien avec la mère de sa fille et qu’elle a préféré l’écarter pour éviter ce risque?
Ces deux petites filles, quand elles avaient neuf ans, ont été traversées par leurs peurs sans pouvoir donner du sens à tout cela. Pour celle qui a été exclue, son père n’a jamais eu le moindre geste ou le moindre mot de « reconnaissance » et la succession vient réappuyer sur ces sentiments de rejet. La Médiation Familiale peut leur permettre de rendre à leur parent ce qui leur appartient et dont elles n’étaient pas responsables. Et de se parler alors comme deux adultes de cinquante ans.
Ce n’est pas facile. Mais c’est très utile. D’abord pour gagner du temps car une discussion « amiable », même douloureuse ou violente, est un processus qui prendra moins de temps que la justice (qui peut prendre jusqu’à dix ans pour régler une succession conflictuelle). Ensuite parce qu’un conflit consomme de l’énergie et de l’argent, alors qu’un accord volontaire apaisera durablement chacun des protagonistes de cette histoire familiale. On voit chaque jour des réconciliations miraculeuses dans les Cabinets des médiateurs familiaux !
Pourquoi certaines familles se déchirent lors d’une succession ?
Le décès de nos parents ouvre un moment de déséquilibre, de rééquilibrage qui passent par des changements des rôles de chacun, des comparaisons, des redéfinitions de nos identités. On entend souvent lors des conflits entre frères et sœurs et des successions : « je ne l’aurais jamais cru capable de faire cela ».
Dans notre vie, nous sommes en relation : avec nous-mêmes, avec les autres et avec « le monde ». Nos proches, notre famille, sont à l’intersection de plusieurs « sphères ». Un frère, une sœur, c’est une part de nous, ou en tous cas, la frontière est fine. Nous nous ressemblons physiquement, nous avons parfois la même voix, les mêmes expressions, souvent les mêmes valeurs (pas toujours). Nous avons souvent vécu les mêmes expériences, enfants, même si là aussi, nous pouvons en avoir des souvenirs totalement divergents (c’est nous qui construisons notre réalité, nous passons notre temps à interpréter ce que nous appelons la réalité). Nous avons surtout (souvent) les mêmes parents, les mêmes grands-parents, la même famille proche. La même Histoire.
Dans une famille, chacun tient son rôle, parfois défini de façon fixe
Hors une famille, c’est un milieu en équilibre. Chacun a son rôle, parfois défini de façon fixe. L’un va être celui qui protège les autres, qui les prend en charge. L’autre va être celui qui commande, qui exige, et qui parfois, sanctionne. Un autre va systématiquement prendre le rôle du messager : parler pour les autres. Ou les faire rire, en adoptant systématiquement la posture du Clown de la famille. Autrement dit, une famille est un groupe « ordonné », car chacun d’entre nous a trouvé le meilleur moyen de s’adapter pour vivre, ou survivre, dans cette « maison ».
Notre famille est un système et ce système lutte pour sa stabilité
Lorsque nous grandissons, vieillissons, nous avons l’impressions de changer et de prendre de l’autonomie. Mais il suffit souvent d’un bon repas de famille pour que tout se remette en place. Pensez à vos déjeuners du dimanche et aux fameuses fêtes de Noël (ou d’autres fêtes, pour ceux qui ne fêtent pas Noël). L’ « autorégulation » se réinstalle immédiatement. Car notre famille est un système et ce système lutte pour sa stabilité.
Lorsque nos parents disparaissent et que nous nous retrouvons en situation de transmettre et de recevoir les biens et les objets des générations qui nous ont précédés, nous expérimentons une « explosion » de ce système. Le décès de nos parents modifie tout l’équilibre. Les rôles de chacun sont remis en question : vous êtes adulte et vous en avez assez que personne ne vous laisse jamais parler. Ou vous êtes adulte et vous en avez assez de toujours prendre en charge les corvées. Ou vous êtes adulte et vous ne tolérez pas que vos frères et sœurs ne fassent pas ce que vous leur demandez. Alors que jusqu’ici, cela s’était toujours passé comme cela, et très bien passé comme cela.
Le décès de nos parents ouvre un moment de rééquilibrage qui passe par des changements des rôles de chacun
Le décès de nos parents ouvre un moment de déséquilibre, de rééquilibrage qui passent par des changements des rôles de chacun, des comparaisons, des redéfinitions de nos identités. Parfois il y a des résistances vis-à-vis des ces changements: on “règle” des comptes. Les biens matériels sont utilisés pour manifester ces résistances. On entend souvent lors des conflits entre frères et sœurs et des successions : « Je ne l’aurais jamais cru capable de faire cela ».
La Médiation familiale peut être d’une grande aide
Pour sortir de ces conflits, la Médiation familiale peut être d’une très grande aide car avant de traiter des sujets matériels, le Médiateur peut vous aider à redessiner l’identité de chacun. Comme il est et non pas tel que l’on voudrait qu’il soit ou tel qu’on l’imagine sous le prisme d’une sur-adaptation au système construit par nos parents et nos fratries. Cela peut être très rapide. Car dès qu’un membre du système bouge, tout le monde bouge. Et cela peut être un vrai soulagement pour tout le monde. Chacun est enfin reconnu pour ce qu’il est.
Plutôt que de se battre pendant des années entre un notaire qui n’est pas habilité à trouver des solutions dans un tel conflit (un notaire est là pour « acter » une succession, il n’est pas un négociateur) et un système judiciaire très long et assez coûteux, le recours à un médiateur familial peut permettre à chacun d’exprimer ses besoins et d’être écouté grâce à l’intervention d’un tiers (un tiers neutre, impartial, bienveillant et qui respecte une totale confidentialité). Les non-dits vont pouvoir être formulés. Les frustrations et les erreurs d’interprétation vont pouvoir être partagées. Le sentiment d’injustice pourra diminuer. Souvent, cela suffit pour dénouer des situations qui résultent tout simplement d’un désir de vérité, de sincérité et d’un désir de “re-connaissance”.
Cela nécessite d’être encore en lien pour pouvoir s’asseoir autour d’une table chez le médiateur familial (le médiateur peut envoyer un courrier pour inviter d’autres membres de la fratrie à participer quand il est sollicité par un membre de cette fratrie). Et d’être en capacité de bouger, d’accepter les changements inhérents au fait que votre famille ne sera plus jamais la même.