Isabelle Jordan

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Quand vous vous disputez tout le temps pour des détails: des agacements sont sans doute la cause de vos conflits. Que faire ?

Les agacements sont malheureusement des “Tue-l’-amour” que l’on découvre souvent quand on “s’installe” ensemble. Jean-Claude Kaufmann a écrit un formidable livre sur le sujet et plutôt que de le paraphraser, je vous propose de vous retranscrire ce qu’il en dit. En vous recommandant bien sûr la lecture de cet ouvrage si le sujet vous intéresse. Jean-Claude Kaufmann est un homme qui a de l’humour. Son livre sur les Agacements ressemble à une promesse de légèreté et d’amusements. Quoi de plus drôle en effet que d’aller regarder par le trou de la serrure pour voir comment s’en sortent les autres. Jean-Claude Kaufmann est un « spécialiste du quotidien et du couple ». On peut donc lui faire confiance. Après avoir traversé quelques chapitres, l’ambiance n’est pas si riante. On aborde les ombres de la colère, de la tristesse, des irritations, des indignations, des fureurs, des forces centrifuges qui éloignent les partenaires. Qui les transforment en adversaires. Je rêvais de comédie. Les Agacements sont un drame : « sous les rires gisent les vraies colères ».[1]

Les agacements des débuts ont un rôle positif de réglage

Jean-Claude Kaufmann n’est pas le premier à nous expliquer que les deux membres d’un couple sont au départ deux étrangers. Dans son livre, il reprend ce principe en faisant une distinction entre les agacements qui opèrent au début de l’histoire d’un couple et ceux qui le traversent plus tard. Pour lui, les agacements des débuts ont un rôle positif de réglage et de mise en route du « système » du couple : « Les premières années d’un couple sont rythmées par les agacements qui définissent la mise en place progressive du système ménager »[2]. Car le conflit déclenche des explications, des partages d’expérience, des mises au point qui entrainent une action. Les agacements ne sont ici rien de plus que l’irruption de deux « théories  concurrentes » [3]. « Rien de plus normal que d’être agacé dans un couple, y compris quand les relations sont bonnes. Car l’agacement s’inscrit en son centre même, le fonctionnement conjugal reposant sur des associations de contraire qui produisent des dissonances ».[4]

 

On pourrait donc croire que rien de tout cela n’est grave. Jean-Claude Kaufmann introduit doucement son sujet : pour lui, les agacements résultent d’une dissonance. Dissonance entre soi et soi, parfois. Quand la réalité est différente de ce que l’on voudrait qu’elle soit. Et plus souvent, dissonance entre soi et l’autre. Car un couple, ce sont deux histoires, deux empreintes familiales, deux « éthiques », deux visions, deux systèmes de croyances qui doivent s’accorder. Et les « évènements minuscules » qui déclenchent les agacements sont révélateurs des « enjeux relationnels ». Autrement dit, ils sont le signe de nos résistances. L’autre est un « étranger ». Une part de nous s’efface et s’adapte pour laisser une chance au couple. Une autre renonce à disparaître. L’agacement s’inscrit donc au cœur de la définition de l’identité, voire, de l’intégrité.

 

Il est très intéressant de découvrir que les agacements sont modernes. Dans un système traditionnel, les rôles de chacun étant parfaitement définis (la position hiérarchique des hommes et des femmes, par exemple), les « réglages » sont prédéfinis. Dans le couple moderne, dans lequel s’unissent deux individus qui revendiquent l’égalité, ou tout au moins, l’équité, il faut inventer le quotidien. En théorie, tout est possible et rien n’est interdit. Les agacements sont donc générateurs de décisions, de changements et parfois, ils se résolvent en installant une répartition complémentaire des sujets, recréant deux zones bien délimitées qui ne se mélangent pas. Ainsi, comme le montre Kaufmann, l’organisé du couple prendra en charge l’organisation des week-ends et des vacances. Ou encore, le conducteur habile ( autoproclamé) prendra systématiquement le volant lors des déplacements. « L’agacement (…) est avec la fatigue mentale l’un des prix à payer de la liberté individuelle, prix dont nous découvrons l’ampleur aujourd’hui ».[5]

Ce qui se cache dans les agacements

L’intérêt du livre est de révéler tout ce qui se cache dans les agacements. De montrer qu’il ne faut pas s’arrêter au geste théâtral de la colère ou des bouderies. Qu’il s’agit bien de concilier deux visions du monde, deux humus familiaux, deux systèmes culturels, des rythmes, des attachements, des références qui par essence divergent et qu’il faut faire cohabiter puisque l’on a décidé de vivre ensemble. C’est là le principal enseignement du livre. L’agacement est universel. Il touche tout le monde et contrairement aux apparences, il relève du « soi », du « je », et non du « nous ». Les agacements nous offrent une occasion de travailler sur nos représentations. Ce qui est bien au cœur du processus de la fabrication du couple.

 

On peut se laisser déborder par la frustration et la colère. Mais on peut aussi s’arrêter pour tenter de démêler ce qui peut l’être : une femme qui a tout le temps froid ( dans la chambre commune ou dans la voiture) a peut-être une système circulatoire différent et des raisons biologiques d’avoir froid. Un homme « radin » a peut-être peur de l’avenir. Ou encore, a reçu une éducation qui l’oblige à se projeter dans des projets long terme et à penser « patrimoine » alors que son conjoint ignore même la signification du concept. Quelle est la part de l’héritage de chacun dans son rapport à l’autre ? L’héritage n’étant pas ici compris comme des valeurs matérielles mais comme les valeurs tout court, que chacun transporte. Un homme (ou une femme) absents a peut-être du mal à régler sa distance par rapport à l’autre. Il ou elle a peut-être des peurs liées à des histoires d’amour anciennes qui l’empêchent de fusionner dans son nouveau couple. Kaufmann nous incite à aller chercher ce qui est sous la surface. A dépasser le « pic émotionnel ». On peut espérer que si l’agacé donne un sens au geste qui l’agace, il sera moins touché. Et qu’il sera au moins déchargé du doute qui l’assaille quand le sujet d’agacement se répète à l’infini : « il (ou elle) le fait exprès » ? « Pour me provoquer » ? 

 

L’agacement joue son rôle « défoulatoire »

Kaufmann souligne ce que les agacements révèlent du fonctionnement de la famille. Il décrit ainsi comment les agacements sont résolus ( il utilise une métaphore poétique « d’évaporation », par exemple). Car si le couple sort victorieusement de l’agacement, il en ressort a priori renforcé. L’agacement joue son rôle « défoulatoire » et libère l’agacé de ce qu’il n’arrive pas à refouler. Si en revanche, les agacements conduisent à une accumulation de frustrations, de reproches et de désirs de vengeance, on parle de « tue-l’-amour » et il faut alors « la magie de l’amour » pour les dépasser. A moins que l’un des protagonistes ait tout simplement déjà fui, ce qui est une méthode d’évitement parmi d’autres. 

 

Les « pics émotionnels » déclenchés par les agacements peuvent être tellement violents qu’ils entrainent une « confusion des sentiments ». Kaufmann évoque des témoignages dans lesquels les agacés ne savent même plus s’ils ont envie de continuer à vivre l’un avec l’autre. Ils auraient sans doute intérêt à déposer leurs agacements devant un tiers pour faire le tri. Encore une fois, l’agacement est un symptôme et selon la façon dont il surgit, il révèle l’intensité de la maladie. L’agacement est-il ponctuel ou permanent ? Provoque-t-il de l’indignation ou de la fureur ? Une frustration fugace ou installée ? Comme le poison, tout est une question de dose.

 

Ce livre est loin d’être une pièce de théâtre comique. Même si Kaufmann essaie dans sa dernière partie de montrer quelles sont les portes de sorties, les agacements sont effectivement les armes de la « guerre  des couples » évoquée dans le sous-titre du livre. C’est assez terrifiant. Et donne une vision pessimiste de la conjugalité. A l’inverse, cela présage d’un travail en profondeur qui pourrait s’établir lors d’une médiation familiale, en aidant les couples à comprendre ce qui est réellement en jeu lorsqu’ils réagissent aux micro évènements qui les dérangent. De regarder les « enjeux »  relationnels soulevés au lieu de s’arrêter à l’émotion provoquée. Avec le risque que la simple évocation d’un agacement ne réactive le contexte batailleur des protagonistes lors de leurs tentatives de réconciliation. Car au fonds, la question reste toujours de comprendre comment a pu s’unir ce qui n’était au départ qu’une somme de  différences. Kaufmann parle de « pulsions amoureuses » et souligne que « la fabrication du conjugal est d’une étonnante complexité »[6]

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 https://livre.fnac.com/a1914624/Jean-Claude-Kaufmann-Agacements-les-petites-guerres-du-couple

 

 



[1] Page 401 dans la version électronique /1137 pages

[2] Page 88 de la version électronique /1137 pages

[3] Page 155 de la version électronique/1137 pages

[4] Pages 387 de la version électronique/1137 page

[5] Page 949 de la version électronique /1137

[6] Page 230 de la version électronique/1137